Retrouvez l'analyse de la presse internationale sur le risque médical par le Professeur Amalberti. À la une ce mois-ci : démographie médicale inquiétante au Royaume-Uni, infections multi-résistantes et efficacité des bonnes pratiques, inégalité des soins et population défavorisées, qualité et sécurité dans les soins infirmiers, prise en charge des patients atteints de cancer en France...
Les contournements volontaires de protocoles, procédures, ou recommandations sont à la fois décrits comme très fréquents en médecine, assimilés à des violations et à des surrisques médicaux, et définitivement vus comme négatifs.
Cette revue de littérature proposée par des auteurs anglais spécialistes de l’erreur humaine et des violations, montre pourtant que beaucoup de ces "violations" sont finalement plutôt bénéficiaires à la sécurité.
La revue a porté sur 27 articles publiés sur le sujet qui mentionnent et étudient 21 familles de contournements fréquents. Un peu plus de la moitié de ces articles (59 %) mentionnent des écarts volontaires particulièrement dans le domaine du circuit du médicament. Ils sont commis par des infirmiers dans 67 % des cas, des médecins dans 41 % des cas, et des pharmaciens dans 19 % des cas (chacune de ces professions pouvant être concernée par les mêmes contournements).
La cause la plus souvent évoquée pour les expliquer relève de facteurs organisationnels inadaptés à une action de terrain efficace. Certains articles rapportent des conséquences à la fois positives et négatives, prise de risque, mais gain de temps, réactivité plus grande du soin pour le patient, approche plus centrée sur la personne concernée, moins bureaucratique.
Dans l’ensemble, la tendance relevée est que les bénéfices en matière de gestion des risques liés à ces contournements de procédures sont plutôt plus grands que les inconvénients, ce qui souligne encore plus l’importance d’un traitement et d’un régime de sanction à moduler dans le cadre d’une culture juste.
L’étude compare la durée de vie, mortalité, inégalités, et les caractéristiques des systèmes de santé de 6 pays anglo-saxons riches (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Irlande et Nouvelle-Zélande).
L’Australie est de loin le pays où l’on vit le plus vieux.
L’espérance de vie moyenne australienne à la naissance est supérieure pour les femmes de 1,26 à 3,96 ans comparée aux 5 autres pays, et de 0,97 à 4,88 ans pour les hommes. Les gains et différences s’installent particulièrement dans la tranche d’âge 45-84 ans.
Dans le détail, le système de santé australien est plus performant pour la lutte contre les addictions (tabac, drogues), pour la prise en charge des cancers, du risque cardio-vasculaire et des pneumonies infectieuses. En matière de territoire, c’est aussi le pays qui a le moins de différences et qui est le plus égalitaire entre catégories d’habitants et entre régions.
Comparativement, l’Irlande, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande sont les plus inégalitaires et aussi ceux où l’espérance de vie moyenne est la plus basse.
Les infections associées aux soins, particulièrement celles causées par des souches multi-résistantes, demeurent une absolue priorité de la sécurité du patient. Ces auteurs Américains nous proposent une revue de littérature sur la mise en place et l’efficacité des bonnes pratiques de prévention de ces risques infectieux (port de gants, décolonisation, précautions de contact, traitement de l’air, isolement). L’analyse est conduite dans le cadre d’un quatrième opus du programme national de sécurité du patient US ("Making Safer IV").
Après filtrage des publications en rapport aux critères de qualité recherchés, la revue porte sur une série d’articles publiés sur le sujet entre 2011 et 2023 (revues de littérature et métanalyses, et études randomisées ou observationnelles).
Six études et revues attestent que la décolonisation est l’action la plus systématiquement efficace sur le risque infectieux multirésistant, même si l’effet reste plutôt limité à certaines populations de patients. De même le port systématique de gants s’associe à la réduction du risque, là encore limité à certaines populations de patients.
Trois études majeures sur la décontamination de l’air sont en contraste plutôt réservées sur l’effet positif de cette mesure, de même que la concentration de patients infectés dans des salles dédiées. La limitation des contacts avec les patients infectés présente des bénéfices et des risques à peser pour chaque cas. Enfin, l’isolement total ne démontre pas de niveau de preuve suffisant comme source de réduction des risques d’événements indésirables.
Les auteurs notent que dans beaucoup de ces revues et articles, le degré de preuve de l’efficacité des mesures préventive reste limité, voire bas.
Une vison d’experts co-écrite par deux des plus grands experts mondiaux de la Qualité, dont Rosa Sunol, directrice et fondatrice de la fondation Donadebian.
L’amélioration de la Qualité est l’application systématique d’une méthode pour travailler en environnements complexes, impliquant les acteurs de terrain dans la découverte de nouvelles solutions, en testant les idées nouvelles avec des approches cadrées, et en apprenant en tirant des leçons des données et résultats obtenus. Les exemples ne manquent pas pour démontrer la pertinence de cette approche quand elle est bien menée, particulièrement quand elle est soutenue sur plusieurs années, tournée vers les questions pratiques, avec des revues d’avancement, des autocritiques, et un travail d’adaptation à l’échelle des organismes de toutes tailles.
Malheureusement, la réalité montre un manque chronique de rigueur appliqué à cette méthode avec les conséquences qu’on imagine à la fois sur le fond (combattre l’infection) et sur la méfiance croissante attribuée à la pertinence de la démarche Qualité. La méthode prend du temps, demande de la persistance, et une vision claire du but. Mais au-delà de ces contraintes, la méthode doit aussi trouver sa place dans l’organisation et être l’objet d’un vrai soutien en matière de ressources nécessaires et de volonté d’amélioration ; elle doit aussi être conduite par des équipes "en contexte" avec une culture, des compétences, et une autonomie qui autorise des innovations locales, l’émergence d’idées positives du terrain.
Le leadership est un troisième volet indispensable au succès, en renforçant l’analyse et la résolution collective de problèmes locaux, en prenant en compte les recommandations de bonnes pratiques, et en les adaptant aux contraintes de la situation réelle.
Le quatrième volet d’action est plus systémique, avec une organisation qui s’assure du maintien de compétences des soignants, et des ressources indispensables à l’application des bonnes pratiques, et qui déploie systématiquement une évaluation de ces conditions et des résultats obtenus. Les cadres et soignants "experts" de l’infection doivent être soutenus et utilisés pour former leurs collègues au quotidien pour une large diffusion des bonnes pratiques au lit du patient.
La question de l’amélioration, de l’adaptation de la Qualité aux myriades de contextes complexes du soin, bref de l’innovation, doit passer de plus en plus au centre d’une Qualité qui vie et convainc les utilisateurs de la pertinence de sa démarche. Il faut accepter de traiter les situations où apparemment les procédures ne s’appliquent pas pour en tirer l’innovation nécessaire à leur application sous une autre forme bénéficiaire au patient. Souvent ces innovations de terrains demeurent insuffisamment rapportées, et du coup insuffisamment évaluées, pour en faire un vecteur d’amélioration continue à l’échelle de l’établissement et plus encore du système de santé. Dans ce contexte complexe croissant, l’arrivée de l’IA devrait permettre un accès plus rapide à de la connaissance nécessaire sur le terrain pour supporter ces innovations locales des pratiques de la Qualité en cas de conditions difficiles hors normes.
On l’aura compris, l’évaluation reste une étape absolument cruciale de la Qualité. Elle doit comporter toutes les dimensions attendues pour convaincre le corps utilisateur : efficacité, coût humain, coût financier, pertinence à différentes échelles de prise en compte du système et des contextes, sans oublier l’égalité de traitement pour tous.
Les indicateurs cliniques sont de plus en plus utilisés pour améliorer la qualité des soins, en multipliant leur nombre, leur pertinence, et en augmentant par facteurs d’échelles la puissance du calcul informatique utile à dresser et suivre automatiquement la surveillance clinique (notamment grâce aux techniques des big data).
Mais les médecins restent peu utilisateurs et connaisseurs de ces nouveautés.
Les défauts sont de quatre ordre : ignorance de (1) leur rôle et socle scientifique, (2) des conditions à respecter pour les rendre pertinents, (3) de leur utilisation potentielle dans le soin, et (4) de leur évaluation.
Ces auteurs néo-zélandais nous proposent une revue de littérature sur le thème.
Un total de 14 études publiées est inclus dans la revue, permettant d’identifier 17 thèmes analytiques. Les limitations mentionnés ci-dessus 1, 2 et 3 sont bien couvertes par ces articles mais le thème 4 sur l’évaluation fait défaut.
Les résultats montrent que ces indicateurs peuvent jouer un rôle important dans l’amélioration pratique sur le terrain de la Qualité des soins, mais ce résultat est exigeant en préconditions.
Pour être efficace, il faut que les médecins aient été associés à leur développement, reçoivent un recueil et retour direct, particularisé et individuel des résultats, et que les ressources nécessaires aux corrections à apporter soient localement disponibles. Toute utilisation a visée punitive réduit par contre leur usage et provoque une distance naturelle à leur crédibilité, de même que toute exclusive qui serait donnée à ces indicateurs comme seule mesure de la Qualité sans prendre en compte la réalité et l’étendue des efforts déployés (hors mesure des indicateurs).
Les infirmiers, par leur présence et leur métier 24/24 auprès du patient jouent un rôle essentiel dans le niveau final de Qualité de soins et la Sécurité du patient.
On manque pourtant d’une analyse et d’un recueil systématique de ces bonnes pratiques. Une équipe de chercheurs-infirmiers américains travaillant dans les hôpitaux militaires des Vétérans, proposent une telle liste de bonnes pratiques clés à partir d’une revue de littérature.
249 articles ont été retenus en première lecture qui ont conduit à identifier 94 bonnes pratiques réparties en 8 domaines : communication, événements indésirables, leadership, expérience des soins et satisfaction des patients, amélioration de la Qualité, culture de sécurité, effectifs et charge de travail en rapports au contexte de terrain, support technologique et informatique.
La déclinaison des bonnes pratiques dans ces 8 domaines propose un cadre utile (une sorte de référentiel) pour de nombreuses améliorations qui pourraient être adoptées dans les établissements de santé. Le détail de ces bonnes pratiques est forcément trop long pour un résumé, mais il est facile à retrouver dans l’article qui le présente sous forme de tableaux aisés à traduire et suivre.
L’offre de systèmes informatiques automatisés de dépistage des complications (Patient Monitoring Systems - PMS), et notamment des infections, s’accroît aux États-Unis et partout dans le monde occidental. Cette revue de littérature 2008-2018 fait le point sur les pratiques réelles de ces PMS et leurs résultats.
19 articles sont inclus dans la revue : 4 revues systématiques et 15 études expérimentales dont une grande partie utilisant des protocoles randomisés.
Les indicateurs de résultats retenus sont en général la durée de séjour, le transfert en unité de soins intensifs, et in fine la mortalité.
Les indicateurs utilisés dans le logiciel de surveillance sont multiples (délai d’administration des antibiotiques, type d’antibiotiques utilisés, indicateurs cliniques, mesure du lactate, etc.).
Dans l’ensemble, les études pointent des améliorations cliniques avec ces outils, mais ces améliorations restent modérées si on sort du très local et qu’on les considère avec une vision de système de santé à l’échelle des différents types hôpitaux. On note que les effets sont tout de même plus significatifs dans les services généraux que dans les services de soins intensifs.
Les américains, plus encore que les européens ont poussé à la création et l’installation systématique d’équipe d‘intervention rapide (Rapid Response Teams - RRTs) dans les hôpitaux pour aider à la prise en charge urgente de défaillances vitales dans les services.
Ces auteurs proposent un bilan de ces pratiques à travers une revue de littérature des articles publiés entre 2008 et 2018. La revue prote finalement sur 10 articles, dont 3 revues de littérature, 3 méta-analyses, et 4 études observationnelles. L’évaluation de l’équipe d’intervention inclus la mesure de la mortalité, les arrêts cardiaques, et les transferts en réanimation. La composition des équipes variait d’une étude à l’autre, avec 4 études regardant plus particulièrement l’importance de la présence d’un médecin ou pas dans l’équipe.
Au total, les preuves d’efficacité d’une telle équipe d’intervention rapide dans la réduction des arrêts cardiaques non récupérés, et la baisse de mortalité liés aux urgences vitales dans les étages reste relativement modérée. Quant aux données sur le bénéfice d’une prise en charge du patient par l’équipe pour un transfert rapide en réanimation, elles s’avèrent trop incomplètes pour permettre une interprétation claire.
La participation d’un médecin à l’équipe semble plutôt améliorer son fonctionnement.
Enfin, les bénéfices, si limités soient-ils, demandent dans tous les cas de persévérer et d’être mesuré sur un temps long, car ils dépendent aussi d’une évolution globale de la culture de sécurité de l’hôpital dans lequel le dispositif est mis en place.
Ces auteurs anglais s’interrogent sur les changements rapides affectant l’organisation de la médecine et des soins, encore accélérés par la crise du Covid, et leur possible effet de creusement des inégalités des soins.
L’arrivée massive de l’informatique est assurément le changement qui a eu le plus d’effet négatif sur l’accès médical des populations défavorisées, peu éduquées, qui n’ont parfois même pas d’accès internet ou ne savent pas s’en servir. Mais il ne faudrait surtout limiter les effets négatifs à ce changement majeur lié à l’informatisation des guichets de consultations et d’assurances.
On retrouve aussi comme causes :
Bref, selon les auteurs, la situation d’inégalité des soins n’a jamais été aussi grande depuis ces changements.
Il faudrait d’urgence accompagner ces populations défavorisées par des outils adaptés, ciblés, donnant des explications adaptées au niveau de chacun, sans doute plus basés sur la parole et l’interaction directe pouvant vérifier compréhension et adhésion que basé sur un écrit seul.
Le manque de personnel limite hélas déjà cette approche ; cela sera peut-être rendu possible avec les technologies modernes d’IA. Mais tout reste cependant encore largement à faire en la matière. Pour le moment, force est de constater qu’on voit plutôt les effets négatifs de ces changements et nouvelles technologies qu’on n’en voit leur aspects positifs.
Une récente étude a analysé les évolutions et tendances de la démographie médicale et de l’offre au sens large dans les 10 dernières années 2013 à 2023.
Dans cette période de 10 ans, le nombre de cabinets de généralistes en Angleterre a chuté de 20 %, passant de 8 044 à 6 419, avec en corollaire une liste moyenne de patients pour chaque cabinet de généraliste qui a augmentée globalement de 40 % passant de 6 967 à 9 724. La population totale de patients couverte par les médecins n’a cessé d’augmenter.
La proportion de cabinets individuels n’a cessé de se réduire (passant de 13 à 11% entre 2018 et 2023). Entre 2015 et 2022, on note une augmentation de 20 % le temps passé par la force de travail disponible, en incluant les médecins diplômés ou faisant fonction sous différentes étiquettes, avec une augmentation des postes dans les équipes multidisciplinaires impliqués dans les soins primaires. Le nombre d’infirmiers est resté par contre stable alors que le nombre de praticien généralistes diplômés s’est réduit de 15 %. En septembre 2022, le taux de couverture de praticiens généralistes diplômés pour 1 000 patients étaient de 0,45, alors que les autres personnes et métiers qualifiées en Angleterre pour délivrer les soins primaires - hors quota infirmiers de pratiques avancées - (on parle ici de médecins assistants, de pharmaciens de consultation) représentaient 19 % de l’offre pour 1 000 patients, et les administratifs 51 % de l’offre.
Les médecins généralistes anglais de 2023 sont fortement féminisés, avec un quart d’entre eux nés outre-mer.
Entre 2018 et 2023, les cabinets médicaux généralistes anglais n’ont fait que grandir et devenir multidisciplinaires, en même temps qu’ils se réduisaient en nombre de médecins diplômés.
On ne peut évidemment se satisfaire du malheur du voisin anglais bien pire que chez nous, tant nous pourrions rapidement être dans des zones et tendances voisines.
La prise en charge multidisciplinaire des patients atteints de cancer devient chaque jour plus importante pour le pronostic et la qualité des soins, et ce par le fait des durées de vies qui ne cessent d’augmenter grâce aux traitements, ouvrant sur des parcours plus longs et de plus en plus complexes mixant hôpital, suivis divers, retour à domicile, et reprises du travail.
Pour mieux caractériser les forces et faiblesses de cette coordination multidisciplinaire, cette équipe française de Créteil a procédé à une étude qualitative de la coordination des soins en mêlant approche observationnelle, analyse inductive, et 59 entretiens semi-directifs avec des professionnels du domaine en secteur hospitalier et en soins primaires.
Les professionnels expriment des perceptions différentes du parcours clinique du cancer. La division des tâches et des rôles de chacun est en théorie claire pour chaque métier. Elle est pourtant souvent diluée dans ces variations de perception, notamment pour les temps de l’annonce (qui, quand), de qui doit assurer et coordonner la communication entre entités et professionnels pendant le long parcours, et qui est en charge des actions à suivre de toutes natures dans la prise en charge.
Globalement, les professionnels restent trop centrés sur leurs propres besoins, leur périmètre étroit de métier, et leur propre système d’attente, sans se mettre à la place des autres professionnels de la chaîne médicale, ni celle des patients. Les généralistes et infirmiers en soins primaires travaillent souvent de façon isolée, communiquent très peu avec les autres parties prenantes de la chaîne médicale. Ils justifient leurs attitudes par une absence de besoin de leur part.
Sans surprise, dans les faits, on note une grande variation de la qualité des communications et coordinations dans les équipes de prise en charge du cancer, entre soins hospitaliers et primaires, et ce sont paradoxalement souvent les patients qui font le lien et la différence positive entre situations où cela se passe bien et situations plus problématiques.